Du voyage itinérant en Creuse considéré comme un des beaux arts (Saison 3, finale)

Un jour vient où il faut quitter le mont Palatin Crozantais pour rejoindre notre petit Liré Nantais.

Sédelle 1          Photo pour notre Présidente : les couleurs de l’UCNA resplendissent !

La chose a demandé une certaine préparation car Yves nous a proposé non de revenir en ligne directe par le chemin inverse de l’aller, mais plutôt de remonter au Nord, rejoindre la Loire et suivre la trame de ses châteaux jusqu’à… la maison.

IMG_3570         Séance d’élongations cartographiques…

Mais évidemment, si l’on veut choisir des itinéraires sans voitures, il faut plusieurs cartes, la table de salle à manger s’avère trop petite et seul le sol carrelé s’adapte à l’exercice. À quand des sacoches de guidon d’un mètre carré de large ou la carte qui se déroule dans la visière du casque ? À défaut, tout le monde se retrouve à plat ventre et rêve l’itinéraire idéal.

IMG_3574         Pour vous fournir cette qualité d’images, Alain doit évidemment être inventif !

Imaginer un itinéraire c’est déjà le vivre en pensée ; estimer les difficultés, envisager les lieux d’arrêt, les points de restauration et les moments de détente. C’est une partie du plaisir qu’Alain et Yves ne se refusèrent pas après avoir dument consulté la météo pour s’assurer des deux éléments majeurs : l’absence de pluie et la direction du vent.

Ce retour a été un plaisir dès les premiers tours de roue, non pas seulement parce que tout commençait par deux kilomètres de pure descente, mais parce qu’Yves avait choisi de longer la Creuse qui savoure son séjour dans la région en multipliant les méandres et les surplombs forestiers.

Sédelle 2

          La Sédelle, délicieuse au pied de CrozantUC Gargilesse Sand         Le château de Gargilesse tel qu’en lui-même… avec ses toits verts, bleus et rouille…

C’est ainsi que nous arrivâmes à Gargilesse, supposé un des plus beaux villages de France, célèbre pour son château et la petite chaumière que l’auteur dramatique Alexandre Manceau y offrit à George Sand dont il cumulait les fonctions de secrétaire et d’amant. George dont on se souvient qu’elle était une femme, a adoré ce lieu tourmenté et verdoyant.

À notre arrivée, nous montons aux portes du château et nous retrouvons au milieu d’une concentration de motards en Harley-Davidson. Tous plus moustachus et tatoués les uns que les autres, avec quelques hétaïres callipyges à fortes poitrines, dédiées au siège arrière et à la décoration. Au milieu d’eux, un garçon d’une dizaine d’années que son père a emmené et qui n’en croit pas ses yeux de bonheur. Chacun est penché sur la machine du voisin qu’il inspecte et commente et les fronts chenus rosissent de bonheur à mesure des louanges réciproques. Aucun regard bien sûr pour la vue sur le château ni les pentes escarpées recouvertes de feuillus, ni la petite église, quelques mètres plus haut qui a pourtant une crypte avec de bien belles fresques…

Capture d’écran 2015-12-02 à 12.06.12                                C’est pas les nôtres, mais ils sont jumeaux…

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         Les fresques que les motards n’ont pas vues… C’est moins sexy, mais ça raconte plus…

Le motard est là au cœur de sa liturgie, le front ceint d’un bandeau, le favori viril envahissant les joues et il jouit de sa liberté. Ce soir pourtant, il rentrera dans son immeuble, vérifiera une fois encore les cadenas du parking qui protègent son jouet et remplira sa feuille d’impôts en maugréant, le rêve sera passé. Mais le week-end prochain…

Étape à Buzançais. RAS. Des chiens jouent dans le hall d’accueil de l’hôtel. Nous retrouvons des touristes.

Le lendemain, Yves est survolté et nous peinons à essayer de la suivre. Longue polémique sur la vitesse moyenne idéale ; Alain penche pour 25km/h traditionnel chez les cyclos et Yves trouve que cette vieille norme valait quand les cyclos avaient des machines bien moins performantes. Pendant ce temps, Antoine essaie de rependre son souffle.

Yves Antoine         C’est un montage : Antoine n’a jamais réussi à rattraper Yves !

Puis la Loire qui apparaît soudain comme un fil d’Ariane qui nous guide. Nous nous sentons déjà chez nous. Le niveau d’eau est bas, mais le fleuve est magnifique avec ses bancs de sable jaune et les villages riverains. La fameuse douceur angevine remonte bien le courant. Nous reprenons nos habitudes de touristes enfantins en nous faisant photographier par les passants. Oublier son âge et rouler au soleil, tout au plaisir de la matinée.

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Arrivés en avance à l’Île Bouchard déserte, nous nous retrouvons dans un bistrot crasseux où un patron dépressif a heureusement ouvert, avant le gaz, la télé sur la finale de Roland Garros ; entre sportifs de haut niveau – de Ricard – on se comprend. À six heures, nous rejoignons l’hôtel où un autre patron volubile et grand lecteur ouvre sa bibliothèque aux clients de passage. Avec son épouse, aussi heureuse que lui de trouver à qui parler, ils nous expliquent comment ils se sont fait piéger dans ce lieu désert où des apparitions miraculeuses ont eu lieu sans que les pèlerins n’affluent. Ils rêvaient Lourdes et ils vivent un village fantôme du Texas, buissons secs poussés par le vent et musique de Sergio Morricone en moins…

La vie est un pari !

Il me prête un roman de Jean Teulé, « Je, François Villon », dont il me dit grand bien. Du sang de la première à la dernière ligne avec, en temps fort, la cuisson à petit feu d’un condamné décrite avec minutie. Évidemment, je transpose cette cuisson lente avec la fin programmée de cet hôtel dans l’esprit de ses propriétaires. Deux niveaux de lecture, le condamné c’est lui.

Turquant         C’est à boire, à boire, à boire…

Alain Chinon         L’empereur Alain dans ses oeuvres.

Le lendemain, Chinon dont nous nous régalons. Le tuffeau, c’est un peu nous ; friable mais toujours debout après quatre siècles, un peu moins pour nous ! Photos dans les vignobles. Le fléchage « Loire à vélo » est trompeur et nous expédie au sommet des falaises d’où la vue est imprenable sur le fleuve et sa vallée. Comme toujours, on râle au début et on est heureux à la fin.

ChinonChinon, la ville est dans l’histoire.

Étape à Gennes. Et à Gennes il y a du plaisir car nous retrouvons Émile venu à notre rencontre. Il vient de faire 150 km contre le vent et en rit encore. Frais comme un gardon de Loire avant la pollution, il monte avec nous la terrible grimpette qui mène à l’hôtel où les cyclos de l’UCNA ont l’habitude de faire étape. Le soir, après le billard, nous improvisons un tour de chant car Émile est le rossignol de l’UCNA.

P1290826    La bande des quatre : Émile, Antoine, Yves et Alain.Capture d’écran 2015-12-02 à 12.19.33

                Antoine a un problème…

Redépart pour Nantes. Après Angers, Daniel à son tour nous retrouve sur les rives de St Florent le Vieil, la ville de Julien Gracq, à l’heure du déjeuner, comme par hasard. Antoine qui a des problèmes de fondement dûs à une selle neuve, choisit de ne pas s’arrêter, les autres s’installent en terrasse…

Ainsi se conclut dans la bonne humeur une belle équipée, sagement délirante et toujours curieuse des autres. Nos vélos ont été des sauf-conduits efficaces pour franchir la barrière naturelle qui pousse chacun à ne pas se livrer aux inconnus. Nos bonnes mines ont fait le reste. Nous avons vu la beauté des terroirs, l’isolement des bourgs, l’assèchement des villages frontaliers face au développement des supermarchés, la beauté de la vieillesse assumée, l’imprégnation britannique dans la France rurale et les efforts de chacun pour survivre… Nous avons partagé avec ces inconnus devenus amis d’un instant et nous sommes échangés chacun de petits bonheurs.

Finissons sur une image. Un peu avant Crozant, Yves nous arrête devant un petit château, dont le peu que nous voyons est parfaitement restauré. Pendant cette halte un couple franchit la grille. Lui est un vieux monsieur à grande allure, vêtu de vêtements usés jusqu’à la corde, mais droit comme un « i ». Il tient par le bras une femme de son âge, autour de 80 ans, aveugle. Ensemble ils traversent la route à pas comptés, un panier de linge au bras, pour aller vers une dépendance. Nous échangeons quelques mots, peu pour ne pas troubler leur intimité. Ce sont les propriétaires. Lui était avocat parisien, il a mis sa fortune pour remettre tout en état et ils y vivent heureux leurs dernières années. Ils n’ont plus rien, vivotent, ils respirent l’un pour l’autre et leur bonheur est patent.

Je lui demande.

  • Que souhaiter de plus ?

Un citadin évoquerait sa santé, ses tracas, la jeunesse perdue, mais lui sourit simplement et répond doucement.

  • Rien, surtout rien.

Je roule en itinérant, nous roulons, pour ces moments de grâce.

Séquence émotion…