Dans la grande tradition annuelle, notre ami Guillaume emmenait mercredi dernier le groupe des cyclos à Pornic où il les reçoit chaque année en front de mer. Cette sortie est particulièrement attendue et ce sont dix ardents cyclos qui se présentent au départ de Pirmil, dont Jean-Paul, nouveau venu qui fait sa première sortie sur son vélo de ville à trois vitesses dans le pignon, sous le regard dubitatif de nos camarades.
Départ plein d’entrain ; on surveille Roger comme le lait sur le feu, mais il roule comme un prince. Vent portant, la troupe va bon train et arrive sans encombre jusqu’à la grille du domaine où elle s’ouvre en deux rangs pour laisser passer le capitaine de route tel Sa Majesté le roi d’Angleterre arrivant au palais de Buckingham. Sensible à la gravité du moment, Guillaume s’arme de la clé de la grille et ouvre solennellement libérant le passage des cyclos affamés par l’exercice ; l’imagination chauffe, les estomacs gargouillent, la salive s’accumule et chacun s’imagine sur la terrasse face à la mer, dégustant son repas, arrosé généreusement par l’ami Guillaume, tradition oblige. Maître de la situation, celui-ci contient les impatiences, fait garer les vélos dans le garage et monte jusqu’à son appartement, suivi comme son ombre de la foule empressée et déjà fébrile. Rayonnant, il fouille la poche gauche de son maillot, prêt à saisir la clé qui ouvrira la porte et libérera les appétits. De chaque marche de l’escalier et du palier, tous les yeux sont braqués sur lui.
Cyclotouriste venant d’appendre que l’heure du repas est différée
Un sourire crispé et il sort la main de sa poche gauche où il n’a senti aucune clé, pour attaquer la droite, sans plus de résultat, puis celle du milieu, que nenni… Il hésite un instant, se souvenant de la pub Ford où l’acteur, mâle italien surgonflé aux testostérones, cache la clé de la voiture dans son slip de bain minuscule, mais son cuissard ne contient rien de dur et métallique. Une grosse bouffée de chaleur lui rosit les joues, heureusement sous la barbe, tandis que la foule commence à gronder. Ramenant le calme apparent par quelques formules apaisantes dont il a le secret car c’est un homme plein de sagesse, il entreprend alors une fouille serrée de sa sacoche de vélo et étale au sol le fourbis que traîne tout cyclo d’expérience.
Photo du contenu de la sacoche de guidon, confirmant l’absence de clés…
Mais la clé se dérobe toujours et encore, jusqu’au moment où, moralement nu et désemparé, il fait ce que font tous les hommes en désarroi… Il appelle sa femme, éternelle ressource des braves bougres pris en défaut. Là encore, il faut toute sa subtilité dialectique pour poser la question clé – au propre comme au figuré – sans perdre la face et il attaque par la fameuse formule :
- Allo, c’est moi !
Par pudeur et pour ne pas ajouter à la difficulté du sujet, nous ne dévoilerons pas comment Danièle tranche les circonlocutions embarrassées de l’époux et arrive vite à la conclusion que la clé de Pornic n’est pas dans le cuissard ni la sacoche de guidon, puisqu’elle prend benoîtement sous ses yeux, au porte clé de la demeure familiale, avec même quelques scintillements suspects qui pourraient laisser penser à un esprit moqueur.
C’est dans des situations extrêmes que les chefs se dévoilent. Alors que sa position ressemble de plus en plus à celle du dompteur qui vient de marcher sur la queue du tigre, il lâche cette formule définitive :
- Foin des clés, déjeunons sur la plage !
Pornic, ses pêcheries et ses plages accueillantes… quand on n’a plus les clés de l’appart…
Le groupe hésite un instant, vont-ils lyncher le malheureux et jeter ses restes aux crabes dans les goémons de la plage ? Non, la noblesse de sentiment qui les anime les pousse à la compassion et la faim aux décisions pratiques et c’est la cavalcade jusqu’à la grille d’accès à la plage où Guillaume s’aperçoit qu’il n’a pas la clé… Je plaisante !
Évidemment, un esprit superficiel et trivial serait enclin à fantasmer sur cet acte manqué de première grandeur… À quoi pensait notre héros en quittant le domicile conjugal ? Quelle mouche rose et bleue a traversé son champ visuel au moment de se saisir de la clé ? Que lui a dit Danièle à cet instant précis pour le déstabiliser ? Une phrase qui ne veut rien dire comme savent si bien en tresser nos épouses, du genre « Fais attention à toi ! » ou pire encore « Je t’aime ! » lancé du haut de l’escalier comme un signal codé à décrypter par le mari interloqué qui ne sait s’il doit courir se jeter dans les bras de l’épouse ou conclure d’un simple « Moi aussi, moi aussi, à ce soir ! »… L’appartement aurait-il été vendu et tout ceci ne serait qu’une mise en scène habile ? Et lui, Guillaume, aurait-il bu en cachette les bouteilles destinées aux cyclos ? Aurait-il vieilli prématurément ? Devrait-il consulter en urgence ? Avaler sans tarder un tube de 30 capsules « d’Activ Léro Synaptiv – concentration intellectuelle » dont le nom seul est un défi à la mémoire ?
Mais, nous ne sommes pas de ces esprits faciles qu’une rumeur excite et une allusion perfide fait jubiler. À vrai dire, nous nous sentons plutôt solidaires de Guillaume. Car, quel adulte mâle peut dire que ce genre de mésaventure ne lui est jamais arrivé ? Un homme est génétiquement destiné à perdre ; c’est une force qui lui permet alors d’improviser superbement et de trouver des solutions infiniment complexes à des problèmes d’une grande simplicité. Un homme perd non seulement ses clés, mais ses papiers, la liste des courses, sa carte bleue – passons vite, nous y reviendrons – voire même, parfois, dans les cas les plus extrêmes, sa femme… Il arrive même qu’il se perde lui-même! Un coureur du Vendée Globe est parti en laissant à terre l’ensemble des cartes marines qu’il avait emportées à l’hôtel pour réviser une dernière fois… Alors, la clé de Pornic, laissez moi vous dire que nous sommes dans la normalité masculine la plus banale. Combien de cyclos de retour du déjeuner, se sont demandés où était la clé du cadenas qui attachait leur vélo et celui de deux copains dont l’inquiétude grandissait ?
Alors, que celui d’entre nous qui n’a jamais rien perdu jette le premier quolibet !
Ne poursuivons pas sans clarifier un point sensible. Il est venu aux oreilles du présent rédacteur que Guillaume, fort de son autorité de capitaine de route, aurait fortement incité ses camarades à ne pas s’épandre dans le club sur cette petite mésaventure. Mais ce serait mal connaître le rôle essentiel du journaliste dans notre club qu’imaginer qu’il puisse ne pas apprendre la chose au plus vite. D’ailleurs, ce mercredi – les fesses à peine sorties du baquet d’eau froide avec des glaçons après une semaine itinérante en Creuse sur une selle revêche – le dit rédacteur a senti à l’heure du déjeuner comme un frisson jubilatoire le parcourir ; quelque chose dans le genre d’une finale de Roland Garros gagnée par un Suisse qui ne s’appelle pas Federer. Car les grands journalistes sentent l’information comme l’oiseau sent venir l’orage… S’ensuit naturellement, le devoir de s’informer puis d’informer, sans lequel il n’y aurait plus d’UCNA…
Petit suisse créateur de grands frissons. Comme le pressentiment d’un scoop pour le journaliste du club…
Poursuivons donc et reprenons le fil au moment si difficile, de la remise en selle après le déjeuner et attachons-nous à Jean-Paul, nouveau membre, second du club à porter de prénom, vite surnommé Jean-Paul II. Il avait fait 70 km le dimanche précédent et en était revenu en bonne forme, ce qui l’avait poussé à nous rejoindre pour Pornic.
Il faut préciser que Jean-Paul n’est pas n’importe qui ; agenais, joueur puis entraineur de basket depuis toujours, rugbyman, pongiste… (Précisons qu’un pongiste n’est malheureusement pas toujours un amateur du poète Francis Ponge dont je dédie cette citation à notre ami Guillaume « Les rois ne touchent pas aux portes. Ils ne connaissent pas ce bonheur. » Francis Ponge, Le Parti pris des choses).
Donc Jean-Paul est un sportif, entraîné depuis février à base de footings et nourri de sucres lents avant le départ, préparés par Brigitte, son épouse. Mais si le sucre est une chose, le retour contre le vent, après 70 km en est une autre et là, Jean-Paul insiste sur la première qualité de cette sortie ; l’osmose avec le groupe qui ne l’a jamais laissé seul, mais a multiplié les astuces pour s’arrêter aux bons moments comme le regonflement de ses pneus, la visite de la chapelle (sans Jacques Dufilho), ou la lanterne aux morts des Moutiers, sans oublier la petite glace au départ de Pornic, après le repas. Jean-Paul a également apprécié les concours de Christiane, Marine et Daniel pour lui ouvrir la route. Évidemment, si les choses allaient correctement sur le plat, il craignait de se mettre dans le rouge à chaque bosse où l’effort devenait excessif, mais il a tenu bon. Finalement, c’est ravi et en pleine forme qu’il a rejoint Nantes vers 18h30 quand même, heureux que le capitaine de route, décidemment très clé-rvoyant, ait choisi pour rentrer le chemin le plus direct.
Bravo Jean-Paul pour ta ténacité qui tient du miracle, bravo les Ucénistes pour l’accompagnement et bravo Guillaume pour cette sortie clé !
Les quizz faciles auxquels vous avez échappé :
– Le café préféré de Guillaume ? Le clé-bar
– Son philosophe grec ? Péri-clés
– Sa séductrice ? Clé-opâtre
– Sa fleur ? La clé-matite
– Son prénom féminin ? Clé-mence
Je vous laisse poursuivre…
2 réflexions au sujet de « Où Guillaume s’avère un homme clé et Jean-Paul II réalise un miracle »