Le lecteur pourrait s’imaginer en lisant les articles précédents, relatant les déboires successifs de nos capitaines de route et de leurs ouailles, que le club est principalement formé de branquignols, plus à l’aise au bar du coin devant une fillette de muscadet, haranguant les clients présents de performances imaginaires, que sur leurs vélos… Grave erreur de jugement s’il en fut.
Non seulement le club compte de très solides et constants voyageurs itinérants au long cours, spécialité qu’il poursuit toujours – par exemple l’an prochain en sillonnant l’Ariège et le Tarn pendant une dizaine de jours – mais il est fier de son réseau de plus de 80 circuits différents autour du département. Simplement, si le lecteur ne trouve pas sur les autres sites de clubs, d’articles souriants sur les sorties de la semaine et les bévues des capitaines de route, c’est simplement que les autres ne parlent pas de leurs aventures et ne savent pas rire d’eux-mêmes. Ils roulent un œil rivé sur leur compteur et l’autre sur le dossard de celui qui les précède, en espérant ne pas se faire lâcher dans la prochaine côte. Pas de ça chez nous ! Pour nous, savoir se moquer gentiment de soi est la base de bonnes relations et contribue à un ego à taille humaine.
Pour tout dire, à l’exception d’Émile et une poignée d’autres, sans parler des athlètes de la Section Course aux cuisses avantageuses et à la taille de guêpe – caractéristiques physiologiques dont nous avons dû, bon gré mal gré, faire notre deuil – nous avons perdu l’espoir de finir un Tour de France sur les Champs Élysées devant la foule en liesse qui scande nos noms. Les filles ne tombent plus pas en pâmoison en nous voyant et notre public se compose principalement de vaches apathiques, corbeaux craintifs et chiens de fermes bruyants…
Pour autant, nous ne sommes pas aveugles et voyons bien passer des groupes aux maillots uniformes, qui roulent à grande allure… et laissent derrière eux des traînards qui n’ont d’autre ressource que d’improviser leur retour penaud vers la maison. Rouler seul après avoir été largué est terrible ; non seulement c’est plus difficile qu’en peloton, mais il faut s’attendre ensuite à se faire brocarder lors des prochaines sorties. Sans compter la désillusion du retour à la maison : parti comme Don Quichotte, on revient Sancho Pansa, meurtri et le moral en berne, faire face aux remarques désobligeantes de la famille.
L’épouse :
- Largué ? Toi ? Avec ton vélo neuf ? J’y crois pas… C’est vraiment jeter l’argent par les fenêtres…
Le fils ado :
- Le père de mon copain Rémi roule dans le même club, j’espère qu’il t’a pas vu, sinon je vais me faire incendier par les copains…
La fille de sept ans :
- Pisseque tu roulais pas vite, tu m’as ramassé des marguerites ?
On n’est jamais trahi que par les siens…
Papa s’est fait larguer, exemple de compassion familiale…
D’autres roulent seuls et répètent inlassablement les mêmes circuits, créant des routines qui mènent à la désillusion. Enfin beaucoup se gonflent le col et se prennent pour le peloton du Tour de France… Pas de ça chez nous ! Nous, c’est d’abord le plaisir de rouler ensemble dans la nature, de parler, d’ouvrir les yeux et de sourire de nos travers. Et nous faisons nôtre cette maxime « Trouve toujours une raison de rire. Cela n’ajoutera peut-être pas d’années à ta vie, mais ajoutera de la vie à tes années ».
Nous n’avons pas honte de nous arrêter pour attendre un retardataire ou lui laisser le temps de reprendre son souffle après une belle grimpette.
Les esprits simples qui ne roulent qu’en voitures, pensent souvent que le département est plat comme ma main et que rouler en vélo relève d’une fastidieuse corvée, beaucoup trop facile. Là encore, l’automobiliste passe largement à côté de la réalité disposant, sans effort, de toutes la puissance voulue sous la pédale, il ignore ce qu’est un faux-plat, un vent contraire ou la détresse de freiner dans la descente, perdant ainsi une belle énergie, à reconquérir dans la côte qui suit. Si l’on donnait aux automobilistes des voitures à pédales, ils changeraient d’opinions sur les cyclos.
Certes, la Loire-Atlantique est l’estuaire de la vallée de la Loire et offre ainsi de larges perspectives avec peu de reliefs, mais ne vous fiez pas aux apparences. Ainsi si vous suivez le fleuve en descendant vers la mer, vous longerez le Sillon des Bretagne, obstacle court, mais respectable ; franchissez-le et traverser la nationale, vous arriverez sur Vigneux-de-Bretagne et des reliefs plus marqués. Poursuivant à l’Est, voici la montée de Grandchamp-les-Fontaines qui vous réchauffera. Plus loin, Oudon et Champtoceaux se font face avec chacune une belle grimpette, vous en voulez encore, voici la côte de La Varenne-Saint-Hilaire. Poursuivez au Sud dans le vignoble et voici un paysage aux reliefs permanents. Vous en redemandez ? Roulez dans les Mauges, le Grand Huit de la région nantaise : quand ça ne monte pas, c’est que ça descend et que donc ça va remonter sans tarder. Tout cela sans parler du vent qui peut transformer une sympathique balade en épopée héroïque.
Donc dans ce terrain varié, nous aimons rouler pour le plaisir. Quel plaisir ? Il y en a beaucoup : rouler ensemble, sentir le vent, faire de gros efforts dans les montées et avoir de grandes excitations dans les descentes, découvrir des territoires proches mais inconnus, sentir les parfums d’herbes et d’étables, toucher parfois ses limites et parfois les dépasser, croiser une buse guettant sur son piquet, échanger quelques mots avec un autochtone, s’arrêter sur un point de vue, faire travailler son cœur en endurance et aussi en performance, se sentir bien au milieu des copains et pourquoi pas, à la différence de Prévert, voire un raton-laveur !
C’est peut-être aussi une définition… du bonheur de vivre !
Une réflexion au sujet de « De la réputation des cyclos UCNA et de l’origine de leur bonheur »