Chaque année, l’UCNA organise une des premières randonnées du printemps, dite « 50 et 100 km du Loroux-Bottereau ». Avec plus de 230 participants l’an dernier, nous avions battu notre record et comptions bien renouveler la performance en 2017.
Les équipes étaient sur le pont, le pâté et les rillettes commandées chez Super U, Culture Vélo nous suivait une fois encore, le boulanger Maison des Saveurs aussi et une douzaine de bénévoles avaient passé du temps à préparer la fête…
Mais si l’homme est fort et l’Ucéniste plus encore, il s’efface devant les éléments. Cette épreuve n’est un succès que si le seigneur météo y consent et Christiane, notre Présidente, ne quittait plus les sites météo sur internet. Quinze jours, avant ça sentait le parapluie, une semaine plus tard la quasi inondation, trois jours avant se dessinait une embellie, juste au moment de commander les victuailles, mais la réalité se révéla toute autre. Déjà, la veille, en réalisant le fléchage, il n’avait échappé à personne que le vent d’ouest régnait en maître et envoyait des rafales sournoises dans les rangs dépouillés des vignobles.
Fixer un panneau de signalisation dans ces conditions n’est pas simple. ll faut définir l’emplacement idéal, ce qui nécessite un débat suivi d’un consensus car nous ne sommes pas en politique et personne n’impose sa loi. L’emplacement sélectionné, il faut un homme (ou une femme) aguerri pour tenir le panneau qui menace de s’envoler, et un(e) autre pour le fixer en serrant juste assez pour qu’il ne vibre pas, mais pas trop pour que la ficelle ne le scie pas sous l’effet des vibrations. Enfin, il faut s’interdire le nœud de vache au profit du beau nœud plat symétrique. Tout cela dans les rafales… Et si cela ne fonctionne pas, si le panneau s’envole ou simplement bascule sur lui-même, on livre inexorablement quantités d’innocents cyclotouristes à l’aventure des terres inexplorées. Les « anciens » racontent à la veillée que certaines années, en fléchant le prochain parcours, on retrouve des cyclos de l’année précédente qui cherchent encore leur voie, hâves, épars, et pour tout dire, déliquescents…
Fléchage : la présidente donne le feu vert et explique : là, ça grimpe…
Vous n’avez pas oublié le virage à gauche en haut… ???
Et en plus il y a les ronces…
Donc la veille déjà nous avions compris que le vent dans les collines muscadettes compliquerait sensiblement le retour de nos amis. Mais le vent, n’est qu’un courant d’air et un cyclo ne se laisse pas entraîner facilement. Nous étions encore confiants.
Le dimanche matin, à sept heures, en traversant la foire du Loroux, les têtes consternées parlaient d’elles-mêmes. Au vent infernal s’étaient ajoutées des averses monstrueuses et cela n’arrêtait pas. La mort dans l’âme, nos Ucénistes installèrent leurs positions et commença la vaine attente des participants.
Le cyclo sait, en voyage itinérant, affronter dès le matin des conditions hostiles. Pourtant, rien n’est pire que le réveil quand l’averse tambourine la fenêtre et rappelle que l’on doit être le soir même cent kilomètres plus loin où la chambre est réservée. On suppute alors la sortie la tête dans les épaules et les sacoches lourdes, les premiers kilomètres sous l’ondée et le pire moment où, la sueur de l’effort se combinant à l’eau de pluie, on sent les gouttes arriver dans les chaussures qui vont faire floc floc jusqu’à la fin de la journée… et de la douche. Aucune bête au monde n’oserait, les cyclos, si ! Et les Ucénistes encore plus ! Une pensée émue pour nos amis cyclocampeurs comme Bruno et Alain, qui trimballent dans ces occasions trente kilos de bagages trempés pendant toute une journée, avant d’arriver à l’étape…
Mais pour une randonnée de la matinée, les choses changent car, il faut le reconnaître, il y a peu de vrais masochistes chez les cyclos… Jean-Marie, par conscience, quelques nouveaux, pris par l’inconscience et l’envie de rouler ou Roger depuis qu’il a son nouveau vélo. Pour l’arrêter, il faudrait que les ours blancs envahissent le pays… Hormis ces exceptions, le cyclo a une tendance naturelle bien légitime à… rester chez lui les jours de pluie et plus encore les dimanche de tempête. Combien de fils de cumulonimbus ont ainsi été conçus dans la tiède douceur du lit conjugal, le vélo à l’abri dans le garage, tandis que la tempête hurlait au dehors, faisant vibrer les cloisons ? Nul ne le sait, on ne nous dit pas tout…
Ainsi donc, nous savions dès le réveil de ce dimanche matin que nous ne battrions pas le record des participants. L’espoir demeurait pourtant, mais quand la grêle vint compléter l’horrible panorama des nuages fuyants au ras des arbres menacés, tous comprirent que le désastre s’annonçait. Tels Napoléon à Waterloo, on attendait le Grouchy de l’embellie et c’était le Blücher de la tourmente. Et quand c’est Blücher, ça se paie !
Le ciel répondait avec quelques siècles de retard à l’injonction contre nature de Chateaubriand « Levez-vous vite orages tant désirés ! »… Et l’UCNA en faisait les frais. Si seulement Chateaubriand avait fait du vélo, on n’en serait pas là !
Et pourtant, il se leva dès l’aube une frêle cohorte de guerriers que le ciel ne sut assombrir et qui enfourchèrent leur petite reine pour un combat héroïque. Et ils furent les premiers à s’élancer, à peine l’inscription ouverte. En un quart d’heure, une dizaine disparurent au cœur du maelstrom calamiteux qui s’abattait sur le vignoble, engloutis dans cent kilomètres de lutte infernale.
Les premiers arrivent dans le flou…
Plus tard, plus modestes mais non moins courageux, six autres vinrent se jeter dans l’enfer noir et bitumeux des mamelons trempés où la terre elle-même semblait vaciller sous les bourrasques. Poussés du cul à l’aller, ils fuyaient les éléments, puis vint le moment de se retourner pour affronter l’inimaginable. On fait grande gloire des marins partis courir le Vendée Globe, alors qu’ils sont à l’abri dans leur boîte de conserve tandis que nos cyclos homériques n’ont que leur corps à exposer aux éléments déchaînés.
Et viennent à l’esprit aussitôt les vers de Corneille dans le Cid :
« O combien d’actions, combien d’exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu’il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait ! »
Ah Pierre, comme ton Rodrigue cerne parfaitement le cyclo pris dans les bourrasques ruisselantes ! Tu mériterais d’être élu membre d’honneur de l’UCNA !
L’UCNA, par ompassion, a tenu à partager la misère…
Cette grosse quinzaine de participants jetés dans l’enfer, il fallut bien se rendre à l’évidence qu’il n’en viendrait pas d’autres, le département ayant ainsi évacué tout ce qu’il comptait de vrais déglingués indomptables. Et l’attente commença…
Livré à lui-même, que se raconte le cyclo ? Des histoires de cyclos évidememnt et de santé. Ainsi furent évoquées les hanches en plastique, les estomacs troués, les prostates déboussolées et même in fine, la toute dernière élongation d’Antoine faite la veille lors du fléchage, en voulant faire un grand écart au-dessus d’un fossé. Les septuagénaires ont cette qualité qu’il font des conneries en sachant que ce seront des conneries, mais qu’une force irrésistible les pousse à faire quand même.
Le désoeuvrement accable les bénévoles et le trésorier est sous anxiolytiques, La conversion se recentre sur l’essentiel : – Alors, moi, c’est pire, j’ai vu le docteur et il m’a dit…
En milieu de matinée, un rapide passage à la Foire acheva de nous consterner. Hormis un animateur invisible et une fanfare garantie impassible et waterproof, la consternation était générale à tel point qu’imitant Léonardio di Caprio dans « Le revenant », un éleveur de porc s’était enfermé dans le corps d’une de ses bêtes pour ne plus assister à cette Bérésina météorologique…
Signalons les vigies Daniel et Paul, envoyées en éclaireurs dans la ville pour réorienter les égarés, qui nous sont revenus en triste état après deux heures de solitude intense, sous la douche glacée et dans les courants d’air. Quant aux équipes du point d’accueil à mi chemin, elles avaient heureusement trouvé un abri, mais la matinée à observer les nuages leur a semblé bien longue…
À midi on vit revenir du circuit de 100 km, une dizaine d’éponges dégoulinantes, transies et grelottantes, ayant à peine figure humaine… Ces héros silencieux venaient, il faut le dire, des clubs de Geneston, Vertou, Rezé, Haute-Goulaine. Gloire à ces héros modernes et à leurs clubs magnifiques qui font la fierté du département !
Les trois premiers héros reprennent des forces… Garantis trempés des pieds à la tête !
Dûment abreuvés de vin chaud, avec modération bien sûr, revigorés et restaurés, nous repoussons ces valeureux sur leurs montures où ils rejoignent tant bien que mal leurs pénates. Aucune épouse angoissée n’ayant réclamé, on suppose qu’ils ont retrouvé le confort familial.
Plus tard en arrivent cinq autres en fractionné dont deux Ucénistes : Didier qui a tenu à faire 100 km aujourd’hui (50 pour le parcours plus l’aller-retour jusqu’à Nantes) et Olivier, jeune pousse fort prometteuse… S’il en réchappe.
Reste ensuite aux organisateurs à festoyer sobrement, ranger, déflécher et ramener tout le matériel au Club avec force soupirs résignés…
Nous avons maintenant quelques semaines pour manger 40 kilos de rillettes de porc bio élevé dans les prairies de Super U et cuisinées à l’ancienne ainsi que 40 autres de pâté au Muscadet, aromatisé aux herbes… Autant dire que nous allons mastiquer du Loroux pendant quelques temps…
Un malheur ne venant jamais seul, la modeste dotation de muscadet de concours qui nous était attribuée a été supprimée du fait des maigres volumes de vendanges…
Un dernier mot de compassion pour nos amis Loroux-Batraciens sous la pluie : « Nous vous préférons sous le soleil printanier, gageons que ce sera mieux l’année prochaine ! ».
Pendant ce temps-là, sur la côte d’amour…
Une réflexion au sujet de « Où le destin noie de justes ambitions et désigne une poignée de héros. »