Sortie impromptue à l’initiative de Daniel qui se sent les socquettes en titane depuis qu’il a successivement réalisé 200 km en solitaire pour rallier Larmor Plage, puis, dans la foulée, 400 km dans la région. Galvanisé par ces performances, il avait convié les plus disponibles et endurants à une sortie modeste autour de 150 km.
C’est ainsi que sept valeureux cyclos se sont retrouvés à l’embarcadère du Navibus à 8 heures du matin pour ce grand moment. Outre Daniel, notre capitaine de route et Marcelline qui se chauffe pour « Toutes à Strasbourg », la sortie itinérante sans doute proposée par les maris qui s’offrent dix jours de vacances… Plus Léo et Marine, jeunes et vaillants comme jamais, toujours heureux de venir rouler avec leurs quinze grands-pères et quatre grand-mères, ainsi que Jean-Marie qui roule sur un VTC pour nous faire oublier qu’il grimpe comme un chamois, Émile qui avait lutté courageusement pour s’extirper du lit conjugal à sept heures du matin et se demande encore ce qu’il fait si tôt sur la route, enfin Antoine, inquiet de sa descente dans la Creuse le lundi suivant, avec deux grosses pointures, Yves et Alain, qui regrette fort l’absence de Christiane et Jean-Claude à cette virée.
Après un atelier technique improvisé, le petit groupe s’élance, prend le bac à Basse-Indre et remonte vers l’estuaire. Gros traumatisme quand nous nous rendons compte que le bistrot choisi pour prendre le café est fermé. Ne revenons pas sur l’importance que tout cyclo attache à sa nourriture. Heureusement, le cuisinier de la brasserie du canal de la Martinière a laissé la porte ouverte et nous nous engouffrons. Discussion avec la patronne qui commence à voir les migrations cyclotes du printemps. Elle place les cyclos entre les cigognes et les vacanciers, mais nous l’impressionnons en annonçant l’objectif de la sortie. Le cyclo moyen se refuse rarement le petit plaisir d’annoncer aux ignorants de ce sport, soit des destinations lointaines, soit des distances énormes. L’air blasé l’un d’entre nous balance l’info des 150 km, tandis que les autres regardent leurs chaussures ou l’horizon lointain, en toute humilité, attendant cependant l’exclamation admirative de l’interlocutrice, qui ne manque jamais :
- C’est pas vrai ! Moi, je ne pourrais jamais !
Évidemment, nous pourrions préciser que tout est question d’entraînement, mais cette petite auréole glorieuse nous convient bien, à nous qui ne battons jamais les estrades et nous nous quittons sur un nuage bleu.
Nous prolongeons le canal et passons successivement Paimboeuf puis Saint-Brévin où un photographe armé d’un appareil à l’objectif gros comme une trompe d’éléphant, accepte de nous immortaliser devant le pont de Saint-Nazaire et les chantiers STX, autrefois dits « de l’Atlantique », blason industriel de l’estuaire. À partir de là, nous nous laissons embarquer dans la voie Vélocéan, le chemin se rallonge et la sortie prend des allures de promenade. Même Émile, coursier dans l’âme ne peut accélérer et lancer ses attaques du fond de peloton sur ces chemins sableux et rues tortueuses.
La fine équipe, de gauche etc… Émile, Antoine, Marcelline, Jean-Marie, Marine, Léo, Daniel. Si vous êtes parti du mauvais côté, seul Jean-Marie est à la bonne place !
Nous longeons prudemment le fameux Dragon de Saint-Brévin, heureusement endormi à marée basse et poursuivons jusqu’à Saint-Michel Chef Chef. Là il faut rétablir deux vérités. D’abord c’est Saint Michel qui a terrassé le dragon et Saint-Brévin n’y est pour rien, d’autant qu’il s’appelait en réalité Bregowine et était archevêque de Cantorbury. Dans le cadre de ses appels citoyens, l’UCNA est donc pour le déménagement du dragon sur la plage de Saint-Michel. L’autre erreur consiste à croire que la commune de Saint-Michel Chef Chef a été nommée ainsi par un maire bègue ce qui est faux. L’église était sous la garde d’un « chevecier-chef », chargé du trésor. Chevecier-chef est donc devenu chef-chef ; le maire n’était donc pas bègue, il avait simplement une élocution défaillante, à une époque où les orthophonistes étaient rares et souvent brulées comme sorcières. C’est ainsi qu’une sortie physique exalte soudain les capacités intellectuelles, toujours en éveil chez le cyclo.
80 km au compteur et un ciel menaçant, il n’en fait pas plus pour appeler l’imminence du repas et, après quelques courses, poussés par Antoine au Super U, nous nous installons dans le même petit bois où nous avions successivement perdu et attendu Roger il y a une dizaine de jours. Séquence émotion, affable bien sûr. Il devient l’objet de toutes les conversations et semble planer au-dessus de la table, moustache en bataille, avec son sourire malicieux.
C’est là qu’intervient le souvenir d’une conversation précédente où Roger nous disait son désir de retrouver des compagnons de route. Entre le groupe du mercredi qui monte trop de côtes et celui des anciens qui roule encore trop doucement, il y a l’espace d’un groupe nouveau avec des cyclos comme Henri, Roger et d’autres qui partagent la même envie de rouler… à la mesure de leurs forces. Nous lançons cet appel, confiants dans son succès : il faut sauver le cyclo Roger !
Café dans le même pub qu’auparavant, cette sortie tourne au pèlerinage. Là pourtant, la sagesse s’empare de notre capitaine de route qui résume notre situation ; soit faire le trajet prévu et aller vers 200 km, soit rentrer plus sagement à la maison et se contenter de 140… Il ne faut pas longtemps à notre petit groupe pour adhérer au retour rapide, tant il est vrai qu’une grande idée trouve toujours son public.
Que dire du retour, sinon qu’il fut conclu à bonne allure, vent portant. En chemin, nous passons devant un homme occupé à tailler sa haie sous le regard attentif de son épouse, forte femme s’il en fut, osons même cubique. Là, toujours friand d’une analyse sociologique, Antoine ne peut s’empêcher de leur adresser une remarque souriante.
- Bonjour, papa travaille et maman regarde…
La réponse de ladite dame fuse aussitôt.
- Ta gueule !
Jeune femme rurale cherche contact, plus si affinités…
Les dragons ne sont pas qu’à Saint-Brévin, il en est de moins visibles mais tout aussi féroces et nous commentons avec Marcelline la vie que doit mener ce brave homme qui avait épousé une princesse et finit sa vie avec un dragon. Tous ceux qui idéalisent ces êtres délicats et tendres que sont les femmes et font de chacune une madone nous comprendront. Espérons que les autres restent célibataires.
Sur le bac du retour, nous rencontrons un cyclo qui nous éblouit par son projet de prochaines vacances ; Nantes, Lyon, Sanary, la côte, le canal du midi, Bordeaux, Nantes. Pour lui faire plaisir, nous nous émerveillons. Dès le débarcadère il part comme une flèche histoire de nous montrer comment galope le petit Lulu de Nantes, mais c’en est trop pour Émile et le groupe et en quelques kilomètres nous le rattrapons et poursuivons à belle allure, le laissant à ses méditations ; gentils, oui, pigeons, non. On devrait lui proposer de rouler avec Roger…
Sur ces fortes pensées, le groupe s’éparpille vers les douches et le réconfort familial.
2 réflexions au sujet de « Où Tharon-Plage devient un lieu de mémoire et où l’on apprend qu’il faut sauver le soldat Roger »